SURVIVRE A LA REUNION EN TEMPS DE GUERRE 2eme G.M.



     a. Le contexte.

En 1939, la population de La Réunion est de 220.000 habitants, soit 70.000 habitants de plus qu'en 1914. 
Toujours aussi isolée de la Mère Patrie, il faut un mois pour atteindre la métropole par la mer (en 1946, il faudra 4 jours par les airs).
La Réunion enrichie par l’expérience du premier conflit mondial, sembla n'en bénéficier que très peu, (Ndr/ on oublie toujours aussi vite les leçons du passé sur cette île).
La population 
souffre alors de malnutrition (rachitisme), du paludisme (40 % des décès annuels), du béribéri, etc. Depuis des décennies.


     b. Forces en présence et stratégies "Peï".

La Réunion est un peu mieux préparée pour ce conflit que pour le précédent, elle dispose d'un bataillon d'infanterie coloniale composé ; de 200 hommes équipés de 250 fusils Lebel, de 12 mitrailleuses Hotchkiss, de 2 canons de 90 modèle 1888 et d'une batterie de 95 destinée à défendre le Port-des-Galets. Mais toujours aucun aéronef, ni bâtiment de combat.

Forces militaires présentes auxquelles on peut ajouter les futurs "collaborateurs" de la gendarmerie :

- 2 officiers
- 67 gendarmes à pieds
- 30 cavaliers
aux ordres du capitaine Parriaux.


Des postes de vigies furent placés ; à La Pointe des Galets, à Saint-Pierre, à Sainte-Suzanne, à Saint-Joseph et Sainte-Rose. Les phares de Saint-Pierre et Sainte-Suzanne furent éteints et un poste de commandement crée ainsi que plusieurs sites de stockage de munitions sur décision .

Enfin, pour protéger les populations des grandes villes, des tranchées de protection furent creusées (Le Port, Saint-Denis et Saint-Pierre).

Comme en 1914, la stratégie était en cas d'alerte de :
- Faire évacuer les populations vers les hauts de l’île.
- Couler un bateau à l'entrée du Port.

Ce plan établi le gouverneur Court fut mis en application en mai 1941, lors d'une fausse alerte, par le gouverneur Aubert arrivé en février 1940.
 

     c. Les conséquences socio-économiques.

Dès 1939 et afin d’éviter toute spéculation, le gouverneur Aubert, décida de réquisitionner toutes les réserves alimentaires y compris dans les magasins privés.
Mais, tout comme en 1914, on observa de nouveau l'enrichissement de certains commerçants et de leurs « 
protecteurs fonctionnaires ».
Malgré tout, la cour criminelle spéciale (septembre 1941) condamna cinq commerçants de Saint-Denis (boucs émissaires ?) à de lourdes peines, pour "spéculations et marché noir" (Ndr/ une leçon à retenir…?).

Pour Prosper Eve : "L’écart se creuse très rapidement entre les classes sociales et les autorités useront et abuseront de certains passe-droits. Le législatif étant en faveur des plus riches, les pauvres supporteront les plus gros sacrifices pendant que les plus aisés mangeront à leur faim…» In "Les sept dernières années du régime colonial".

Par ailleurs, le marché noir local dit « Kaloubadia » fit très rapidement son apparition et la vie en zone urbaine devint très difficile, surtout à Saint-Denis.
En 1941, la production de sucre n'est plus exportée depuis deux ans, de ce fait, un arrêté en septembre 1941, imposa l'arrachage de 50 % des plantations de cannes et les remplacèrent
 par les cultures de ; maïs, manioc, ricin (huile industrielle), arachide et de divers haricots.

Afin d’éviter les pénuries de denrées liées à un éventuel blocus maritime, les autorités favorisèrent tout particulièrement la culture du manioc avec un soutien financier auprès des agriculteurs.

L'arrêt des importations de zébus de Madagascar provoqua le développement de l'élevage local. Ainsi le cheptel de bœuf "péi" passa de 36.000 têtes en 1941 à 50.000 en 1943. 
Il en sera de même pour les porcs qui passèrent de 52.000 à 103.000 sur la même période. Mais l'abattage fut très surveillé (abattage marron).

La même année, un blocus fut instauré par les Anglais et des rationnements sur le riz et le maïs apparurent, par le biais des cartes d'alimentation. Celles-ci n'arrêtèrent pas de s'amplifier ajoutant en février 1942 des restrictions sur la consommation du savon, du saindoux, des huiles, du café … 

Malgré tout les navires "Le Bourbon" et "Le Norvégien 2" parvinrent à effectuer des cabotages de ravitaillements entre La Réunion et Madagascar, ce qui permit d'éviter une asphyxie totale.

Parmi les plus démunis, beaucoup de gens ne mangèrent qu'un jour sur deux et d'autres moururent de faim.

L'affaiblissement des populations et le manque de médicaments firent réapparaître, la tuberculose et la diphtérie. Quant au paludisme, il fit encore plus de ravages auprès des personnes âgées et des jeunes enfants. La mortalité augmenta et la natalité baissa.

On observera dans cette période sombre un net retour de la population vers la Foi tandis que la grande majorité des élus, des édiles, de la presse et de l'administration coloniale firent les beaux jours de la Kolaborassion Péi ..!

 (Ndr / à lire, "Les sept dernières années du régime colonial" , Prosper Eve)
 
 
     d. Les solutions de survie et le système D.


Le Troc : Il fit très vite son apparition entre les villes et la campagne (ex: des vêtements contre de la nourriture).

Alimentation : "Comme en 14", la population cultiva des légumes dans les cours et jardins (Chouchou, citrouille, songe, manioc, cambar, radis). Tandis que les brèdes sauvages, "lastron" et "pariétaires", composèrent le repas des plus démunis, tout comme les "piquants" (sournet ou herbe sornette) généralement destinés aux lapins et légèrement toxiques !
Les arbres fruitiers des types Jaquier, Arbre à Pains et Avocatiers améliorèrent bien de maigres repas. Certains cultivèrent du "Maïs Marron" au fond des ravines et la pêche en rivière connut un véritable essor.

Vêtements : pour palier au manque de tissus, on utilisa les fibres de raphia (rabane) et d'agave (choka). Puis vinrent compléter dans la "garde-robe", les vêtements en vieux rideaux et vielles nappes. Quant aux chaussures, elles furent remplacées par des sandales en pneu de camion ou fabriquée en cuir de cabris avec des semelles en carton.

Hygiène : les oignons de glaïeuls furent utilisés comme blanchisseur de linge, la vaisselle fut "nettoyée" avec des feuilles de bringelliers marrons enfin, la toilette personnelle fut parfois effectuée avec la sève de choka diluée (saponine d'agave), mais avec "gratelle" assurée.

En 1944, un cachalot échoué à Sainte-Rose permit de fabriquer du savon grâce à la graisse récupérée sur son cadavre. L'efficacité de ce savon fut néanmoins corrompue par son odeur.
Du savon fut aussi fabriqué à partir d'huile de ricin.

Sel : comme en 1914, le sel vint à manquer malgré les salines de Grands-fonds et de la Pointe-au-sel nouvellement créées (celles d'Etang-Salé ayant à priori disparues). Il fut même rationné à 200 grammes mensuels par adulte à partir de juin 1942. Les techniques "Peï" d'évaporation de l'eau de mer refirent alors leur apparition.

Paludisme : faute de médicaments et pour de lutter contre le fléau des fièvres paludéennes la culture du quinquina (poudre d'écorce) fut largement développée durant cette période.

 
     f. Hommage particulier.





Une fois n'est pas coutume ..!
Si La Réunion a subi et doit toujours subir, des gouverneurs et préfets dont l’incompétence n'a d'aussi épaisse que leurs sur-rémunérations... 

Il en est cependant un qui mérite un hommage et un respect tout particulier.

- Commandeur de la Légion d'honneur. (Ndr/ à une époque où elle avait toute sa valeur !)
- Compagnon de la Libération.
- Médaillé Militaire.
- Grand-Officier de l'Ordre National du Mérite.
- Croix de guerre 14/18 avec Palme.
- Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
- Médaille Coloniale, agrafe AOF.
- Médaille des services volontaires dans la France Libre.
Etc., etc.

Jean-Charles, André, CAPAGORRY, dit « Papa de riz », est né en 1894 à Bayonne (Pays Basque) dans une famille d'artisan boulanger.
Dès l'âge de 20 ans, au sortir de ses études, il part au front lors de la première guerre mondiale. Blessé grave à 21 ans, puis réformé, il entre au service colonial à l'issue de sa convalescence.
En 1940, dès « l'Appel » du général de Gaule, il destitua l'administrateur et rallia le département du N'Djouhé (Congo) à la France Libre. Il sera condamné à mort (par contumace) par le tribunal militaire vichyste pour cette action.
En Août 1942, il embarquera sur le torpilleur Léopard, pour rallier La Réunion à la France Libre et en deviendra son gouverneur.

Constatant que la disette régnait à La Réunion, sa première action fut de réquisitionner
"Le Léopard" et le remorqueur "Le Bouvet", afin que les navires réapprovisionnent l’Île en riz de Madagascar et de Maurice.
Ce qui lui vaudra son surnom de « papa de riz » en liaison avec son action et probablement son patronyme Capagorry.

En 1948, il sera nommé à Madagascar au poste d'Inspecteur général des affaires administratives, il y prendra sa retraite en 1951, puis reviendra à La Réunion en 1972.

Homme sage et pondéré, Jean-Charles André Capagorry décéda le 19 Mai 1981 à Saint-Denis et conformément à sa demande, il fut inhumé avec ses compagnons de la Libération au carré militaire.

Grand serviteur de la France et des Réunionnais, le Préfet Maccioni lui rendra un bel hommage en 2007. Malheureusement, la tombe de ce Combattant des Deux Guerres fut honteusement vandalisée en 2014.
 

Bons sites sur la Seconde Guerre Mondiale (à consulter)




Autres sources:

L'Histoire de La Réunion, D. Vaxelaire.

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