SURVIVRE A LA REUNION EN TEMPS DE GUERRE 1ere G.M.



Du début de la présence humaine et jusqu'en 1729, date de la première grande épidémie de variole, l’Île Bourbon était un véritable Éden fournissant à ses colons de quoi vivre en quasi autonomie alimentaire.
Puis au-delà de cette année et jusqu’en 1806, l’Île alterna entre des périodes de disette et une forme d'autosuffisance, il y avait alors sur l'île environ 70.000 habitants. 
Après cette date, l'île fut entièrement soumise aux importations et donc au trafic maritime mais aussi, aux aléas climatiques et aux conflits.
 
A ce titre, les deux guerres mondiales offrent des informations intéressantes quant aux capacités de survie et de résilience de la population réunionnaise durant ces deux périodes de crises.
 



 
     I. LA PREMIERE GUERRE MONDIALE. 
    


 
     a. Le contexte.
 
En 1914, la Réunion compte environ 150.000 habitants et Saint-Denis dans les 20.000 âmes. L'île est sous-urbanisée, sa population est qualifiée «de petite race» et elle est ;

- Plutôt rurale (jusqu'en 1955, 80% de la population vivait à la campagne).

- Très affaiblie par une alimentation pauvre, déséquilibrée et parfois contaminée.

- Touchée régulièrement par des maladies et épidémies (paludisme, typhoïde et rougeole). 

- Dans un état d'insalubrité constante et quasi générale, liée au manque d'eau courante et savon (ce qui favorisa la diffusion de la grippe espagnole en 1919).

À cette date, seuls 50% des conscrits furent déclarés aptes au service et embarquèrent pour le front. Il fallait alors entre 30 et 50 jours de mer pour atteindre la Métropole.

Cependant le pourcentage des pertes (1698 morts au combat) resta,  à nombre de conscrits égal, nettement inferieur à celui des soldats métropolitains…


      b. Forces en présence et stratégies "Péi".

L'île a souffert indirectement des tentatives de blocus maritimes imposées par des U-Boot et des corsaires allemands
, de type croiseur léger 
(Emden et Köenigsber).

Cependant, la réalité du conflit fut bien lointaine même si malgré tout, deux navires des Messageries Maritimes furent torpillés en Méditerranée le Yarra en Mai 1917, le Djemmah en Juillet 1918 entraînant parmi les victimes la perte de 8 Réunionnais *. 

En cas d'invasion, la "stratégie guerrière" du capitaine de gendarmerie Desroches, qui s'était fait remarquer lors des évènements électoraux de 1914, était de : 
 

- Repartir les stocks alimentaires en plusieurs points de l’île.
- Évacuer les populations vers les hauteurs en cas de bombardement.
- D’installer des vigies en haut des falaises pour signaler tout débarquement.
- D'organiser le sabordage d'un bateau (une drague) pour condamner l’entrée du Port.

Et enfin, d'envoyer, le numéraire et l'or déposés à la Banque de la Réunion à l'ile Maurice (finalement, ils seront envoyés à Salazie). Heureusement, il n'y eut jamais d'invasion...

Car pour répondre à une attaque ennemie, « l'arsenal réunionnais » se résumait 
pour une troupe de 150 hommes à ; 150 fusils type Lebel et 7.800 cartouches.


* Sur les 36 décédés du Yarra ;
Soldat du 24e RIC, ADAM de VILLIERS Marie Charles de Sainte-Rose, DISPARU EN MER.
Soldat du BIC de Diego-Suarez, DAMOUR Jules de Saint-Denis, DCD à bord du Foudre d'une congestion.
Soldat du Dépôt des isolés coloniaux, FABIEN Camille de Saint-Benoit, DISPARU EN MER.
Soldat du Dépôt des isolés coloniaux, SAUTRON Joseph de Saint-Denis, DISPARU EN MER.
Soldat du BIC de l'Emyrne, HERMANN Paul de Saint-Pierre, DCD à bord de L'Arbalète d'une congestion.
Soldat du Dépôt des isolés coloniaux, AMELIN Joseph de Saint-Denis, DISPARU EN MER.

*Sur les 436 décédés du Djemmah coulé en 2 minutes ;
Soldat du BIC de Diego-Suarez, NICLIN Pierre de Saint-Paul, DCD à bord de "fièvres" le 27 Mai 1918
Soldat du 70e RAL, Canonnier Servant, BARNE Charles de Saint-Joseph, DISPARU EN MER

A noter l'énigme du soldat du 24e RIC, FONTAINE capturé par le sous marin UB105 (signalé au livre de bord) et dont on a plus jamais eu de nouvelles... Qu'est-il devenu ?


     c. Les conséquences socio-économiques.

La production de la betterave sucrière étant paralysée par le conflit, l'achat régulier par l’Etat de sucre de canne et de rhum a permis de maintenir l’économie de l’Île à flot, ou plutôt entre deux eaux et même, d'enrichir certains usiniers.

Très rapidement (Août 1914), on observa une spéculation et une inflation des prix  sur les produits de 1re nécessité d'environ 30 %, limitant ainsi l’accès à l'essentiel pour les plus démunis et permettant à certains commerçants de profiter de la situation pour s'enrichir encore plus …



Les journaux de l'époque relèveront cependant une certaine clémence de la justice vis à vis de ces riches négociants qui spéculèrent (Ndr/ on ne change pas une "loge" qui gagne, même un siècle après…).




Alors, pour mettre un terme à toutes ces surenchères, l’Etat (via les mairies) assuma un contrôle tant au niveau de la distribution (carte de rationnement en 1917), que des prix ce qui permis d’éviter bien des manifestations (Sainte-Suzanne, Décembre 1917) et pillages de magasin (Saint-Leu, Octobre 1917).
(Ndr/ Dans certain contexte, les saccages et pillages de magasins ne peuvent ils pas être considérés comme des "solutions de survie" ?)

Grâce à cette stratégie, les stocks de riz, toujours en limite de rupture, furent maintenus jusqu’à la fin du conflit. Cependant, celui-ci parvint à atteindre trois à quatre fois son prix initial (18 à 20 francs la balle en 1914).

Dans le domaine de l'information, le travail de censure de l'Etat était à son apogée. Saisissant le prétexte de ne pas affoler ou, de démoraliser la population de vraies informations négatives que « son ignorance » ne devait pas être en mesure d'analyser. Selon les autorités (Ndr/ Ca n'a pas trop changer depuis finalement…).
Quant à sa diffusion, elle fut altérée par les problèmes de communication (téléphone, courrier et télégraphe) souvent mis sur le compte de la guerre mais aussi au manque de motivation et de productivité des employés des P.T.T. (Ndr/ Tiens donc ?!).


     d. Les conséquences ethniques.

Certaines attitudes commerciales provoquèrent une flambée de xénophobie vis à vis des commerçants chinois, mais aussi «zarabs» accusés l'un comme l'autre, de profiter de la situation pour augmenter leurs bénéfices (vente d'alcools frelatés, fraudes sur les poids et les prix, etc.) et d'avoir, pour les derniers, une position ambiguë vis à vis de la Turquie, pays musulman, devenu ennemi de la France (émeutes contre les commerçants, Omarjee et Sulleimann, Saint-Joseph, 1917).

Le journal "Le Progrès" ne se privera pas de signaler, peu avant l'armistice, les millions de bénéfices réalisés par les commerçants "zarabs" de la Réunion durant le conflit.

 
     e. Les Pénuries.


Le ravitaillement en produit manufacturés venant d'Europe a diminué très rapidement et de façon drastique. Les premières pénuries ont concerné, le papier, le tissu, les pièces mécaniques, le carburant et les chaussures. 
Ensuite ce furent, la farine, le savon, le sel (?!), la morue.
Puis, succéda une diminution des importations de zébus (Madagascar) et surtout de riz (Indochine, Madagascar, Inde via Maurice), pourtant aliment de base de la Réunion.
Afin de répondre à ces manques, de nouvelles industries ont alors vues le jour durant le premier conflit mondial. Ainsi, ont été créé des : savonneries, huileries, brasseries, cimenteries, des moulins à maïs et une fabrique de macaronis.

Le manque de billet de banque fut aussi à l'origine d'une fabrication « locale », qui permis à la Banque de la Réunion de prospérer encore plus durant cette période pourtant difficile
 

 
     f. Les Solutions « Survie ».

Farine : pour palier à la pénurie, on a utilisé quelques Ersatz à base de produits locaux. Le pain de blé fut remplacé par celui au conflor (1917) grâce à l’ingéniosité d'un boulanger de Saint-Paul, Frédéric Payet. Le pain fut aussi fabriqué à base de Couac sorte de farine de manioc légèrement salée d’origine antillaise, mais cette formule n'obtint pas un grand succès à la Réunion.

Viande : L'importation de zébu de Madagascar étant insuffisante, le petit élevage fut développé (volailles, porcs) mais celui-ci se faisait généralement dans les rues, ce qui entraîna de sérieux problèmes d’hygiène et une chasse aux «Porcs des rues » par les pouvoirs publics (arrêté de Nov. 1914). Au détriment de la prophylaxie antipaludéenne…

Combustible : le charbon importé fut remplacé par le bois de Filaos et d'autres essences locales ce qui contribua à dévaster les forêts de l'île. Puis, l'on assista aux premiers essais de carburant hybride composé d'essence additionnée d'alcool de canne.

Riz : le manque de riz entraîna une augmentation des cultures de : maïs, manioc, fruit à pain, brèdes et pommes de terre qui furent de plus en plus présents dans les assiettes réunionnaises.

Huile : l'utilisation et la fabrication de l'huile de coco pour une utilisation humaine et pour l'industrie combla le manque d'importation et le foie du requin a fournit une huile utilisée pour la mécanique.

Sel : généralement, en provenance de Madagascar ou de la Métropole, la production locale (Saint-Leu) ne permit pas l'autosuffisance. Cependant, le système D autorisa à tout un chacun de bénéficier d'un sel, mais de mauvaise qualité.

Dès 1916,  le gouverneur Cor proposa de valoriser les cultures diversifiées, mais hélas, il ne fut pas suivi par les institutions.


Excellent dossier pédagogique sur la Première Guerre Mondiale à télécharger :


Autres sources:
L'Histoire de la Réunion, D. Vaxelaire.



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